L’historiographie du fait colonial : enjeux et transformations de Marco Platania

Dans le cadre d’un séminaire international (International workshop) qui a eu lieu à la J.W. Goethe Universität de Francfort les 4 et 5 octobre 2010, historiens et experts de l’histoire coloniale se sont réunis afin « d’étudier les transformations des pratiques de l’écriture de l’histoire coloniale dans la longue durée et dans les espaces concernés par l’expansion européenne »[1].

Au lendemain de ce séminaire, l’historien, Marco Platania, a rédigé un compte rendu dans lequel il cherchait à examiner les enjeux de l’écriture de l’histoire coloniale[2]. Le double objectif de l’auteur était donc de comparer les différentes historiographiques ainsi que d’analyser les transformations de ces dernières dans le temps long, et ce, « en confrontant les pratiques actuelles à leurs origines et à leurs héritages »[3]. Rédigé dans un contexte d’effervescence scientifique[4], le texte de Platania témoigne d’un désir de dresser un bilan des plus récents écrits en plus de contribuer à la diffusion de cette historiographie et de ses enjeux épistémologiques. Mis à part le fait que son étude agit à la fois comme revue de la littérature et compte rendu, l’analyse que nous propose l’auteur, du fait de son caractère énumératif, est, quant à elle, plutôt simple. La structure suit une trame chronologique dans laquelle Platania relate l’évolution de l’historiographie de l’histoire coloniale et aborde l’ensemble des thématiques étudiées par les participants du séminaire.

La thèse de Platania serait que nous pouvons voir, dans l’historiographie coloniale, une tradition intellectuelle « complexe et plurielle », dont l’invention fait partie de la culture européenne[5]. Il s’agirait même d’une dimension particulière de l’histoire coloniale qu’il importe d’étudier afin de comprendre la manière dont l’histoire a rendu compte « des tensions qui traversent le fait colonial ».

Afin d’en faire la démonstration, Platania divise son argumentaire entre trois historiographies, c’est-à-dire la littérature coloniale du XVIe au début du XXe siècle, l’histoire par le bas et les postcolonial studies et, enfin, la contribution des sciences humaines et sociales à l’étude de la période coloniale. Grâce à cette division, il joint de manière agréable et subtile un compte rendu des présentations et un bilan historiographique de l’histoire coloniale. Dans chacune des sections, à partir des différents travaux des chercheurs présents au workshop d’octobre 2010, il retrace les grandes lignes de l’historiographie sans pour autant perdre de vue ses objectifs initiaux. Dans la conclusion de son article, il reprend l’ensemble des thèmes des historiens puis conclue que l’historiographie de l’histoire coloniale est bel et bien « complexe et plurielle ». Pour ces raisons, il propose de réinterpréter le fait colonial sans pour autant rejeter le passé de la discipline. Comme les travaux récents l’ont démontré, cette relecture permettrait même aux chercheurs de produire des travaux qui ne se bornent plus à relater une histoire linéaire complètement détachée de celle des colonisés.

Au terme de ce compte rendu, on constate aisément la pluralité de la production historique qu’a connue l’histoire coloniale. Du récit de voyage à l’histoire orale, l’historiographie a connu la transition d’une histoire européocentrique vers une histoire diversifiée et marquée par l’héritage de l’histoire par le bas, des cultural studies et d’une historiographie « ancienne ». Je suggère la lecture de cet ouvrage puisqu’il donne de nombreuses pistes de réflexion quant à la pratique de l’histoire coloniale en plus d’offrir au lecteur une revue simple et rapide de l’historiographie. Prenant plus des allures de bilan historiographique que de compte rendu, cet article brille grâce à ses nombreuses références et l’acuité des conclusions tirées par l’auteur.

Toutefois, le texte de Platania aurait gagné à bonifier l’ampleur de son bilan historiographique en y introduisant d’autres travaux portant sur l’histoire coloniale plutôt que de se cloisonner aux auteurs présents lors du séminaire. Or, étant donné ses objectifs et la qualité de sa recension, il est difficile de tenir rigueur à ces manques. Mis à part de cette faiblesse, nous pouvons évoquer une autre critique ; c’est-à-dire, la petitesse de la section portant sur l’histoire par le bas, cette dernière qui est moins étoffée et qui mériterait, elle aussi, une sérieuse relecture. En revanche, étant donné la méthodologie de l’auteur, il est tout à fait normal que le volume de chacune des sections soit proportionnel aux nombres de conférenciers lors du séminaire.

En somme, malgré les lacunes évoquées plus haut, l’article de Platania est une introduction pertinente à l’historiographe de l’histoire coloniale. Toutefois, vu les manques et les vides historiographiques, et ce, malgré la qualité de l’article, un chercheur devra essentiellement s’attaquer à la lecture d’autres ouvrages afin de bonifier sa connaissance du sujet.


[1] Marie Pellen, « L’écriture de l’histoire coloniale », Calenda, 6 avril 2010, <https://calenda.org/200755>.

[2] Marco Platania, « L’historiographie du fait colonial : », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, vol. 24, 2011, p. 189.

[3] Ibid., p. 190.

[4] Depuis une vingtaine d’années, l’histoire coloniale connait un renouveau important, ce qui a contribué à lui donner une forte visibilité. Dans Marco Platania, « L’historiographie du fait colonial : », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, vol. 24, 2011, p. 189.

[5] Ibid., p. 191.

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